Focale | Nyon
19. Januar 2018
Beyrouth 75 - 15
Stéphane Lagoutte
Beyrouth est stratifiée, saturée. Elle vit un syncrétisme désespéré qui la rend belle et monstrueuse. J’ai rarement vu une terre heurter autant ses habitants. La guerre passée est encore si proche. On y parle toujours d’une construction permanente, de ses fêtes, de la vie qui aurait su garder ses droits. J’y vois pourtant une poussière épaisse qui s’est immiscée partout, déposée là comme un voile sur l’innocence. Les libanais aiment et détestent leur pays. Ils s’angoissent, pensent que tout peut se perdre toujours. Alors ils jouissent. Il n’y a pas d’autre choix. Et ce presque rien, ce fil ténu, résiste aux vents, les sauve en tissant leur prison. Une cage dorée pleine d’argent et de femmes. Fissurée. Le Liban fait partie de ces terres trop aimées. Aimées par des parties ennemies qui ont pratiqué la haine de l’autre jusqu’au sang mais pour le moment pas prêtes à tout perde. La noirceur qui j’y vois n’est pas celle des abysses, elle est aussi profonde que la lumière est proche. Le Liban ressemble à la vie: le deuil, la tragédie sont immanents à sa beauté.
Beyrouth 75-15 est composé de trois ans d’errances photographiques et d’images d’archives retrouvées dans les décombres d’un ancien hôtel de luxe du centre ville. Images antérieures à la guerre civile, danse et innocence d’avant l’histoire que je mixe avec les traces restées dans les chambres de l’hotel délabré et sur les murs de la ville aujourd’hui. J’y mêle paysages et instants de vie. Il s’agit d’évoquer l’intrication du passé et du présent. La mémoire d’une histoire commune enfouie en chaque libanais. Ou comment, en marge de notre nature, se terre l’obscure destin d’un peuple.Stéphane Lagoutte
(Text: Stéphane Lagoutte)
La photographie de Stéphane Lagoutte s’ancre sur le terrain de l’actualité. Il pose un regard singulier sur la société et plus particulièrement les questions liées aux identités et au déracinement en milieu hostile. Photographe de Presse, ses études en arts plastiques l’auront sans doute aidé à transcrire sa vision documentaire du monde en une photographie contemporaine qui questionne le support en fonction du propos. Ses travaux sont régulièrement représentés dans les festivals tels les Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, Visa pour l’Image, le Festival du regard ou les institutions telles le CNAP (Centre National des Arts Plastiques), la BNF (Bibliothèque Nationale Française) ou encore les instituts Français. Il est membre de l’agence MYOP depuis 2009.
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